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L’histoire des adverbes français en -ment est exactement parallèle. Le latin offre des adverbes de manière en -e (clare) et en -ter (fortiter), sans valeur expressive. Les besoins de la vie et de l’action font surgir, à côté du type normal, des adverbes à valeur concrète (clara mente, forti animo, passibus æquis, etc.) ; par leur nombre et leur vivacité, ils battent en brèche les adverbes réguliers et les font peu à peu oublier ; mais la diversité des formations est un principe de désordre ; les besoins de la compréhension reprennent leurs droits. En latin vulgaire, mente triomphe de ses concurrents, précisément parce qu’il prend une valeur de plus en plus logique et grammaticale ; puis il devient purement suffixal dans fr. -ment (clairement, fortement). De nouveau l’expression ne se contente plus de ce moyen, elle crée des formations telles que marcher d’un pas tranquille, d’un pied rapide, parler à voix basse, crier à tue-tête, etc. De toutes ces formations, qui feront oublier l’honnête suffixe -ment, l’une triomphera de nouveau, et… tout sera à recommencer.

L’évolution apparaît dès lors sous un aspect assez différent : les langues évoluent sous l’action de deux tendances contraires : la tendance expressive, qui enrichit la pensée d’éléments con-