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la grammaire logique, car l’idée prédicative est rendue illogiquement par un substantif. Que dire du renversement de l’ordre sujet-prédicat, obligatoire dans les jugements logiques : Il est admirable, ce tableau ! et de la suppression de la copule, signe naturel de ces jugements : Quelle merveille, ce tableau ! Est-ce beau, ce tableau ! La belle chose que ce tableau ! Or rien n’empêche que ces tournures ne deviennent, avec le temps, des types de phrases purement intellectuels ; c’est ce qui est arrivé p. ex. à la forme c’est… qui, c’est… que (C’est moi qui ai fait cela) ; elle a été fortement expressive à l’origine, elle a fini par ne plus marquer qu’une distinction logique. Mais voici que, sous la poussée affective, ce tour redevient expressif, avec un autre sens et une autre intonation ; on entend déjà dire familièrement : C’est ce tableau qui est beau ! au lieu de « Il est très beau ». Preuve évidente que les formes de syntaxe, comme les mots, doivent servir, dans le langage naturel, à l’expression affective des idées, et que, intellectualisées par le temps et l’usage, ne suffisant plus à leur fonction véritable, elles sont remplacées par d’autres, que le langage met au service de la vie.