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compter que, quand on dit : Le Rhône coule à Genève, on donne à entendre qu’il coule, a coulé et coulera. C’est un dédale, mais un dédale où nous nous retrouvons fort bien ; seulement ce n’est pas la logique qui est notre fil d’Ariane.

L’observation la plus superficielle montre qu’il n’y a pas là une anomalie, mais un phénomène constant. L’histoire de quelques faits nous apprendra que les nécessités de l’expression, c’est-à-dire de la vie, sont plus impérieuses que celles de la logique ; l’expression évite la notation exacte des faits et pousse à des créations incessantes ; en effet rien ne s’use autant que ce qui est expressif ; de là l’obligation de toujours innover. Nous avons vu (p. 26) qu’il est impossible d’extérioriser un sentiment et d’agir par le langage sans déformer les idées ; rappelons l’exagération (On ne voit que lui.On n’arrive pas plus à propos), l’expression par le contraire (Vous voilà dans un joli état) et surtout la métaphore, dont la langue fait une consommation fantastique (p. ex. pour pleurer : verser, répandre des larmes, remplacé littérairement par : verser un ruisseau, un torrent de larmes, fondre en larmes, dans la langue familière par : pleurer comme une fontaine, et en