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En matière de langage aussi il y a un progrès matériel et un progrès idéal. Une langue peut acquérir des mots nouveaux pour exprimer les formes nouvelles de la civilisation et de la pensée, notamment celles qui lui viennent du dehors ; cet enrichissement superficiel est-il un progrès réel, intérieur ? Le chinois s’est-il perfectionné parce qu’il a appris à désigner un canon, un dirigeable, un député ? S’agit-il même de changement proprement dit ? Il semble qu’il n’y en ait que lorsque le système grammatical est modifié, lorsqu’il s’enrichit d’une forme nouvelle, telle que l’article, ou lorsque l’ordre des mots dans la phrase, libre jusqu’alors, devient fixe, et ce changement ne peut être appelé progrès que lorsqu’on a des raisons valables de juger le nouvel état supérieur à l’ancien ; voilà le progrès idéal ; mais est-il vraiment jamais possible ? D’après quel critère le juger dans chaque cas ? Ce critère sera-t-il littéraire, logique, social ?

On entend dire couramment que les auteurs de la Renaissance ont enrichi le français, que les classiques du xviie siècle, en l’épurant, lui ont donné plus de clarté et de précision, que le romantisme l’a affranchi, en lui permettant d’exprimer toutes les nuances de l’émotion. Comme si tout cela pouvait s’appliquer au français en