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sillement des Yankees nous agace, et ainsi de suite.

Mais voici qui est plus curieux : le son fricatif de ach ! nous choque chez les Allemands et nous charme chez les Espagnols ; pourquoi ? Nous touchons là à un préjugé autrement grave et bien plus tenace ; il consiste à juger une langue d’après le peuple qui la parle, et ce peuple lui-même, cela va sans dire, nous le jugeons sommairement d’après un petit nombre de principes populaires et conventionnels. Les sons gutturaux de l’allemand nous rappellent la « rudesse germanique » ; l’accent marseillais ne ferait pas rire si, en l’entendant, nous ne pensions à quelque galéjade. Que dire des jugements analogues portés sur des langues disparues ! On croit fort et ferme à l’harmonie du grec ancien, qui a pourtant connu les affriquées gutturales du suisse allemand ; les Hellènes actuels aimeraient mieux parler le turc que le grec prononcé à la Périclès. Beaucoup de langues sauvages nous paraissent telles parce qu’elles sont parlées… par des sauvages ; et les sauvages nous paraissent tels, Montaigne l’a déjà dit, parce qu’ils ne portent pas de hauts de chausses.

Il en est de même des formes d’expression : nous avons peine à nous figurer que des gens