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nature, non seulement nous le supposons là où il n’existe pas, mais, quand il existe, nous le généralisons ; de là cette erreur que nous retrouverons dans la question du progrès linguistique : nous imaginons qu’il y a progrès ou recul dans la totalité de l’objet considéré, alors qu’il peut y avoir avance sur certains points et régression sur d’autres.

Le langage n’échappe pas à ces diverses interprétations erronées, et c’est surtout notre langue maternelle que nous jugeons subjectivement. Elle fait partie de nous-mêmes ; expression de notre vie, de notre personnalité, elle ne peut se modifier sans que nous attachions un sens à ce changement. Chose bizarre : dans une communauté linguistique, bien peu d’individus se rendent compte de l’évolution de la langue, puisqu’elle se fait, nous l’avons dit, inconsciemment et collectivement ; et pourtant presque tous croient que les destinées de cette langue dépendent de la volonté humaine, qui peut la perfectionner ou la corrompre. Nous croyons à la perfectibilité de la langue maternelle comme nous croyons à sa supériorité sur les autres idiomes. Peut-être, en discutant cette seconde croyance, verrons-nous mieux la valeur à accorder à la première.