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avec leur évolution, ce qu’il faut entendre par progrès linguistique, enfin, si l’on a des indices certains d’un semblable progrès, soit dans les langues étudiées séparément, soit dans le langage humain pris en bloc. Je ne prétends pas embrasser dans toute son ampleur un sujet qui exigerait une érudition supérieure peut-être aux forces humaines ; mon seul but est de dénoncer des préjugés et de dissiper des malentendus qui perpétuent certaines erreurs de méthode dans l’étude du langage.

La faute en est au subjectivisme que nous apportons à l’examen de ces questions. Ce qui nous empêche de juger impartialement le progrès linguistique, c’est que le progrès est une croyance avant d’être une réalité. La foi dans le progrès est une nécessité vitale ; l’idée de transformation pure et simple nous répugne ; rien de plus décourageant pour l’esprit humain que la doctrine du πάντα ῥεῖ. Il nous est difficile de constater qu’une chose change sans mêler un peu de nous à l’idée de ce changement. C’est que nous ne voyons guère la réalité telle qu’elle est ; elle nous apparaît en fonction de nous-mêmes ; nous lui attribuons des valeurs ; changement signifie pour nous progrès ou régression. Ce n’est pas tout : le progrès étant un besoin de notre