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fonction de beauté ; il veut projeter son émotion et l’objectiver, sans l’intellectualiser ; voilà, pour le dire en passant, ce qui distingue l’artiste de l’homme de science.

Le jeu, une des formes primitives de l’art, fait bien saisir la différence entre l’art et la vie. Le guerrier, qui manie ses armes en vue de se défendre ou d’attaquer, vise un résultat entièrement pratique ; lorsqu’en temps de paix, il prend plaisir à reproduire les mouvements qu’il exécutait dans le combat, il s’agit d’un jeu ; ce qui était un moyen devient un but ; il se produit une sorte de dédoublement de la personnalité et de l’action du sujet ; l’acte, tout en conservant sa note émotive, essentielle pour que l’illusion subsiste, s’est détaché de celui qui l’accomplit. Le guerrier est un acteur qui joue un rôle ; l’émotion qu’il a vécue naguère est désormais extérieure à sa personne.

Cette analogie principielle entre les créations de la vie et les créations littéraires apparaît surtout dans l’éloquence ; c’est par elle qu’il faudrait peut-être commencer cette recherche. Nul genre littéraire n’a plus d’affinités avec la vie et l’action ; le mobile est le même : agir, et agir par le sentiment. En fixant, en sténographiant la parole vraiment spontanée d’un