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ce sont ces créations qui nous font comprendre le mécanisme du langage. L’homme qui parle spontanément et agit par le langage, même dans les circonstances les plus banales, fait de la langue un usage personnel, il la recrée constamment ; si ces créations passent inaperçues, c’est que la plupart n’ont pas de lendemain, sont oubliées au moment de leur éclosion, et échappent à l’attention ; on a tort de les négliger ; si l’on y prenait garde, on verrait qu’elles se font au nom des tendances souterraines qui régissent le langage ; que ces créations spontanées se détachent sur le fond de la langue usuelle comme les créations de style se détachent sur le fond de la langue littéraire conventionnelle ; que ces deux types d’innovations, trouvailles spontanées du parler et trouvailles de style, dérivent d’un même état d’esprit et révèlent des procédés assez semblables. Cette recherche n’ayant pas été faite méthodiquement, il serait téméraire d’en donner les résultats ; je hasarderai un exemple : il y a effet de style ou recherche d’un effet dans des tours tels que : l’horreur souterraine des charbonnages, le lacet blanc des routes, où le substantif abstrait serait remplacé par un adjectif dans l’expression ordinaire (les horribles charbonnages, les routes sinueuses et blanches, etc.) ;