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subies ; on cherche comment la tradition a formé l’écrivain, en quoi il l’a dépassée ; on l’apparente à ses prédécesseurs ou on le met en contraste avec eux ; on le place dans une école et un milieu. Fort bien ; mais est-ce là l’essentiel de l’intuition littéraire ? À bien regarder, que nous apprennent ces travaux de raccordement ? Ce qui, dans un auteur, appartient aux autres plutôt qu’à lui ; ce n’est pas son style qu’on pénètre, c’est la langue littéraire qu’on étudie à travers son style.

Langue littéraire et style : voilà une distinction qui mérite d’être faite soigneusement. La langue littéraire est une forme d’expression devenue traditionnelle ; c’est un résidu, une résultante de tous les styles accumulés à travers les générations successives, c’est l’ensemble des éléments littéraires digérés par la communauté linguistique, et qui font partie du fond commun tout en restant distincts de la langue spontanée. La langue littéraire a son vocabulaire (glaive pour épée, senteur pour parfum, orée d’un bois, sente pour sentier, etc.), ses clichés tout faits (vendre chèrement sa vie, mordre la poussière), une construction conventionnelle des phrases (Je viens dans son temple adorer l’Éternel ; Poète, prends ton luth et me donne un baiser). Vivant