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civilisation et à l’organisation sociale qu’elle représente, afin que son attention se portât tout entière sur l’action réciproque des symboles. Alors il aurait quelque chance de saisir le système dans sa réalité, parce qu’il en aborderait l’étude, libre des illusions et des préjugés qui nous viennent de l’écriture et des méthodes historiques. Mais où, quand et comment cette expérience intégrale pourra-t-elle être tentée ?

Voici, à titre d’exemple, un petit fait que je grossis intentionnellement, et qui marquera la nature propre de cette recherche. Si le français était une langue de sauvages, non fixée par l’écriture, un voyageur-linguiste, recueillant sur les lèvres des indigènes le présent du verbe aimer, le transcrirait ainsi : jèm, tuèm, ilem, nouzémon, vouzémé, ilzèm. Ce qui le frapperait surtout, c’est l’agglutination du pronom-sujet et du verbe ; jamais il ne serait tenté de restituer un paradigme sans pronom : Aime, aimes, aime, aimons, etc., auquel l’écriture traditionnelle fait croire. En comparant ce cas à d’autres, très nombreux, que l’observation directe lui ferait trouver, il attribuerait à cette langue une tendance à l’agglutination, et même, en comparant ilèm et ilzèm, il supposerait une tendance