Page:Bally - Le Langage et la Vie, 1913.djvu/46

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dont la toile a été préalablement divisée en petits carrés où l’on a peint séparément des détails impossibles à raccorder dans une vue d’ensemble.

Le maître dont la science pleure aujourd’hui la perte douloureuse, Ferdinand de Saussure, a été le premier à jeter les bases de cette discipline nouvelle dans ses cours de linguistique générale ; on peut dire que seul il était arrivé à la constituer. La mort l’a enlevé avant qu’il ait pu nous donner le livre où auraient été consignées ses vues géniales sur ce sujet. Les notes recueillies pieusement par ses élèves seront peut-être publiées un jour ; cette publication nous guérirait de bien des fautes de méthode, et nous apprendrait surtout à ne pas mêler l’histoire à l’étude des systèmes linguistiques ; car ceux-ci reposent tout entiers sur l’opposition simultanée, synchronique, de symboles linguistiques, qui, à chaque moment, reçoivent de cette opposition seule, et de nulle autre source, leur signification et leurs valeurs diverses.

Pour que cette recherche idéale aboutît, il faudrait peut-être qu’elle fût faite par un linguiste qui ne saurait ni lire ni écrire la langue qu’il étudierait ; il faudrait aussi qu’il ignorât tout de son passé, et qu’il renonçât à la rattacher à la