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pas venir ?Vous viendrez, n’est-ce pas ?Dites-moi que vous viendrez !Si vous veniez ?Vous devriez venir !Venez ici !Ici !Voulez-vous bien venir ! etc. Ces phrases, si différentes entre elles, font toutes deviner une tension de celui qui parle, une lutte contre une résistance possible, une action exercée sur l’interlocuteur. C’est pour exciter et maintenir son attention que la langue invente tant de particules en apparence inutiles comme : Tiens !Voyez-vous !Dites donc !Vous savez ! — C’est pour mieux agir sur l’écouteur qu’on le prend à partie sans raison logique, par exemple : Je vous laisse à penser si j’étais content !Dites si ce n’est pas une folie !Tout seul, pensez donc, on s’ennuie ! etc. C’est la raison d’être du datif « éthique » : Regardez-moi ça !Je te lui ai appliqué un de ces soufflets… On trouverait cette tendance à l’origine de bien des particules que l’usage a intellectualisées dans voici, voilà, russe vot, vêd’, nebós’, grec τοι (probablement ancien datif éthique σοί), etc.

Mais ce n’est pas tout : la présence ou la simple représentation mentale d’autres personnes peut exercer une action coercitive sur notre langage. Ainsi en parlant avec quelqu’un, ou en parlant de lui, je ne puis m’empêcher de me