Page:Bally - Le Langage et la Vie, 1913.djvu/31

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

chandise obtenue à bas prix : C’est donné, et d’une marchandise trop chère : Cela coûte les yeux de la tête. On transpose dans l’absolu une constatation toute relative en disant : Il fait le plus beau temps du monde, ou : On n’est pas plus aimable. On présente comme excessive une qualité qui, par définition, exclut tout excès, et l’on dit : C’est trop juste. Ou bien on affirme le contraire de ce qu’on pense : Ne vous gênez pas ! La belle affaire ! Fiez-vous à l’apparence ! En voilà une raison ! On interroge au lieu d’affirmer : Est-ce beau ! Est-il assez laid ! N’est-ce pas révoltant ? On personnifie des choses qui n’ont aucune réalité concrète : Un travail présente de grandes difficultés, Une idée revêt des formes diverses. On transpose la tonalité de la pensée par le procédé si habituel de la métaphore : courir un danger, étouffer un scandale, empocher un affront, etc., etc.

Si notre pensée, dans la vie réelle, est telle que nous l’avons définie, elle se résume dans trois caractères essentiels que nous retrouvons dans le langage : 1) Elle n’est pas régie par l’intellect, mais le fait servir à ses fins et sait s’en passer quand il le faut. Les actes des gens les plus sages ne sont jamais strictement raisonnables, et quelques-uns sont même absurdes