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table, dans ses formes spontanées et naturelles ?

S’il est difficile de donner immédiatement une réponse positive, il y a du moins une chose dont je suis certain : mes pensées « vécues » sont d’une tout autre étoffe que celles des idées pures. Aucun homme ne vit par la seule intelligence ; il n’y a pas d’idée pure qui aide à vivre. Quels sont les produits les plus authentiques de l’intellect ? Ne sont-ce pas les vérités scientifiquement prouvées, les jugements et les raisonnements épurés et intellectualisés par un long effort de la pensée, et qu’on appelle des lois scientifiques ? Mais il n’y a pas de loi scientifique qui ne porte dans son sein, avec son déterminisme brutal, un germe de mort, un motif de vivre avec moins de foi et moins d’ardeur.

Si le langage n’est pas une création logique, c’est que la vie dont il est l’expression n’est pas actionnée par les idées pures. Si l’on me dit que la vie est courte, cet axiome ne m’intéresse pas en lui-même, tant que je ne le sens pas, tant qu’il n’est pas vécu ; cette idée générale ne pénètre réellement en moi que par une modification subjective accompagnée d’une vibration affective, si légère soit-elle, et cela n’est possible que si, par des associations simples ou complexes, peu importe, je pense à ma vie ou à celles d’autres