Page:Bally - Le Langage et la Vie, 1913.djvu/105

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

elles s’interpénètrent ; non seulement elles sont parlées par des habitants d’une même ville (les langues de milieux sont surtout les produits de la vie urbaine), mais une même personne, par le fait qu’elle appartient à plusieurs milieux à la fois, pratique à tour de rôle et au gré des circonstances, plusieurs langues spéciales. Il n’est pas étonnant que ces langues se fassent de mutuels emprunts, que la langue commune accueille à son tour ; or ces acquisitions nouvelles font le plus souvent double emploi avec des expressions déjà en usage. De là de grandes ressources pour l’expression, mais une richesse nuisible à l’unification sociale.

Ainsi, est-il bien nécessaire que le même animal ait deux noms, selon qu’il est vivant ou mort ? C’est pourtant ce qui arrive en anglais pour le bœuf, qui s’appelle ox tant qu’il est sur ses quatre pattes, et beef quand il est cuit à la broche ; et il en est de même du veau et du mouton ; cette différenciation est due à la langue des cuisiniers anglais, qui singeaient le français à force de pratiquer la cuisine française. Les veneurs allemands appellent l’oreille Löffel, Schüssel, Lauscher, Gehör, suivant le gibier dont il s’agit ; quant au mot Ohr, que tout le monde emploie, ils n’en veulent pas ; les pattes d’une