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REINE D’ARBIEUX

mais bien plus encore par réaction vive de sa nature qui se portait toujours aux extrêmes, elle ne voulait plus penser à l’ami qui l’avait abandon­née à sa solitude. Il valait mieux qu’elle l’oubliât, ne fût-ce que pour s’accoutumer à sa vie nouvelle. Comme elle passait devant le miroir de sa coif­feuse, elle se regarda, se trouva jolie, et se sentit presque défaillir. À quoi bon ses cheveux légers, son teint clair, puisqu’elle ne connaîtrait jamais cet amour dont son père avait vécu ; qu’elle-même avait désiré, appelé de toute la force de sa jeunesse !

Quelle duperie dans ces années où le cœur se consume inutilement à sa propre flamme, souffrant d’attendre, heureux d’espérer, jouissant de son chagrin même comme d’un secret qui ouvre le monde enchanté ! Elle songeait à un conte qu’elle avait lu : une enfant qui filait près de sa nourrice vivait dans ses rêves. Sur la cheminée, sept grandes cruches décolorées que son père avait façonnées, et qui gardaient les traces d’un émail précieux, lui apparaissaient pleines de mystère ; l’argilier magique y avait enclos des fruits de rubis, des grappes d’opales, des robes tissées de gemmes mer­veilleuses, et versé tout le ciel du Paradis terrestre. « Mariez-vous, disait à la songeuse sa vieille nourrice ; celui que vous aimerez, vous le ferez prince ! » La jeune fille ne voulait pas, les années passaient, elle devenait vieille ; puis une nuit, une nuit de pleine lune, s’étant levée « comme une assassine », elle avait, à coups de marteau, brisé les