Page:Balde - Reine d'Arbieux, 1932.pdf/51

Cette page a été validée par deux contributeurs.
51
REINE D’ARBIEUX

trou. Le temps n’est pas loin où ce type de gen­tilhomme d’autrefois semblera un mythe.

Le comte de la Brèche, qui avait repris du service pendant la guerre, comme officier de réserve, était mort à temps, alors que la fin prochaine du mora­torium allait le livrer à ses créanciers. Deux mois après l’armistice, sa jument Fanfare lui fit traverser, emballée, un épais taillis d’acacias. On le ramassa, sanglant et inanimé, dans un bas-fond, à deux cents mètres d’un moulin où il expira sans avoir repris connaissance.

Le malheur fut un coup de massue pour sa femme qui ne savait rien de sa situation. De temps en temps, le comte la priait de passer chez son notaire au sujet d’un acte qu’elle signait sans lire. Jamais elle n’avait demandé d’éclaircissement. Cette maîtresse de maison, qui se montrait incon­solable pour une porcelaine ébréchée ou une pièce de linge désassortie, ne vit jamais dans quel gouffre coulait leur fortune. De la liquidation, qui lui avait laissé seulement le petit castel de La Renardière, avec deux métairies et de maigres rentes, elle gar­dait l’idée confuse que le comte avait dû être trompé.

— Il était trop bon, soupirait-elle.

La fidélité de ce mari volage restait de même hors de doute à ses yeux candides.

Clémence avait toujours mesuré dans son cœur le vide immense laissé par son père. Mais, après le départ de Régis, dans l’état d’inquiétude où elle se trouvait, elle sentit d’une manière plus aiguë son isolement. À qui aurait-elle pu demander con-