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REINE D’ARBIEUX

n’est-ce pas, ne peut prétendre à rien ? Les belles choses de la vie sont interdites ; il doit les désirer de loin à travers les vitres, comme les mendiants collent leur bouche aux devantures. Mais à vous voir ainsi malheureuse, en larmes, j’ai perdu la tête. Cela serait arrivé à d’autres. Un pauvre diable en vérité… mais qui vous aime !

Reine avait rougi d’humiliation. C’est ainsi qu’il la traitait. Son instinct de femme démêlait dans ces flatteries grossières un mauvais relent d’intérêt et d’hypocrisie. Cette fois, cédant peut-être à un secret mépris pour l’adversaire, Adrien avait outré sa manière, donnant à ce couplet romantique un air de mélodrame, de guignol peut-être, dont la frappait l’odieux ridicule. « Comment, pensait-elle, après ce qu’il a fait, il ose me parler de cette façon… Il ne se donne même plus la peine de me respecter. » Quelle honte éveillait en elle ce ton patelin, qui ne décelait nulle tendresse, mais un mélange d’ironie dangereuse et de fourberie !

Elle fixait sur lui un regard brillant :

— Vous ne m’aimez pas. Cessez, je vous prie, cette comédie ! Ne m’avez-vous pas assez trompée ?

Il ricana :

— Vous aussi, Reine, vous m’avez étrangement trompé sur vos sentiments.

— Je ne vous connaissais pas, dit-elle, rapide et frémissante, vous savez bien que je n’avais aucune méfiance. J’avais foi en votre amitié. Comment aurais-je soupçonné des ruses, des sous-entendus