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REINE D’ARBIEUX

trouble affreux et qu’il lui fallait à tout prix rejoindre ?

Ainsi absorbé, il n’avait pas entendu la porte s’ouvrir. Cette jeune fille qui allait venir, que lui dirait-il ? Plutôt que d’être humilié par sa compassion, il partirait comme il l’avait fait à La Font-de-Bonne, sans s’être trahi. Il ne devait rien à cette famille. Parce que sa souffrance le reprenait, il se redressa, défiant quiconque oserait l’approcher : est-ce qu’il avait à rendre des comptes ? Ce fut alors qu’il vit Clémence, eut envie de fuir ; mais il y avait dans les yeux d’eau pure qui l’interrogeaient une si invincible charité, qu’il en fut saisi.

— Ah ! dit-elle, Reine…

Comme elle murmurait : « Elle n’est pas malade ? » avec le sentiment que le malheur était tout autre, il fit « non » de la tête. Sa bouche tremblait. Brusquement, il cacha sa face dans sa main.

Il s’était effondré sur le canapé. Lui qui n’avait pleuré qu’une fois, dans son âge d’homme, devant le lit de mort de sa mère, il sentait des sanglots le secouer, durement, avec de rudes et poignants sursauts, comme si des forces comprimées prenaient enfin leur sourde revanche. Puis son visage trempé se démasqua ; et, chose qui eût pu paraître invraisemblable, retrouvant près de lui cette frêle jeune fille, toute éclairée au dedans de l’âme par ce don ineffable de sympathie qui infuse vraiment, jusque dans la chair et le sang, la peine d’autrui, il n’eut pas honte de ses larmes.