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REINE D’ARBIEUX

d’hommes, les forts et les faibles. Qui donc s’in­quiète dans la lutte du choix des moyens ? Que l’armée dise : « À la guerre comme à la guerre, » ou le commerce : « Les affaires sont les affaires, » c’est toujours la même horreur du sentiment qui, d’avance, fait tout échouer. Et moi, je laisserais échapper la joie du triomphe ! Affamé, je regar­derais les autres se mettre à table ! » Est-ce que ce n’était pas avec sa vie même que ces choses avaient commencé ; tout ce qui restait d’une enfance dou­loureuse au fond de son être en était pétri, assi­milant pour l’éternité ces sensations violentes d’in­justice, cette haine de vaincu où les passions déve­loppent leurs fortes racines.

Comme son agitation se calmait un peu, il sen­tit brusquement la faim. Après un regard jeté dans la chambre, il alluma son briquet, abrita la flamme dans ses doigts et descendit le raide escalier de bois. Dans la cuisine, le dîner devait s’avancer ; il entendit un bruit de vaisselle remuée, étouffa le bruit de ses pas et se glissa dans le potager.

La maison du maréchal se trouvait à l’extrémité du bourg, au bord de la grand’route ; un hangar construit au fond du jardin, et encombré de vieilles charrettes, de roues à réparer, de divers outils, ouvrait par derrière sur un chemin peu fréquenté, qui filait vers les bois au milieu des prés. Adrien suivit une petite allée d’arbres fruitiers. La lune ne devait se lever qu’au milieu de la nuit, mais ses yeux s’accoutumaient à l’obscurité.