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REINE D’ARBIEUX

un corps étendu ? Non, non, il ne voulait pas penser à ces choses ; surtout dans ce bureau où le corps découvert au pied de la chute avait, le matin, été transporté. Il se rappelait : on l’avait étendu sur un vieux canapé de crin ; et la tête pendait toute noire, l’eau ruisselait sur le plancher ; puis on avait enveloppé le cadavre gonflé dans une cou­verture.

Il serra sa tête dans ses mains. Mais qu’est-ce qu’il avait ? Pourquoi toutes ces choses sortaient-elles de terre pour le tourmenter ? Il lui sem­blait prendre pour la première fois conscience de la douleur d’un autre ; entrer dans sa chair, souffrir à sa place. Cette révélation lui fut si pénible qu’il s’arracha de son fauteuil comme si quelqu’un eût été derrière lui dont il se fût senti poursuivi.

Le grelot d’une bicyclette sonna. Le facteur sans doute ! Sourbets regarda entre les volets. Le soleil de midi, jetant dans la cour une nappe de céruse éblouissante, ne laissait au bas d’un mur qu’un mince trait d’ombre. Une ou deux minutes s’écoulèrent, puis un pas résonna dans le corridor, une main frappa à la porte : Adrien parut. Il tenait à la main un paquet de lettres.

— Voici le courrier.

Il était très grave. À le voir entrer et se tenir debout, à deux ou trois pas, en subalterne, Sour­bets fut gêné. Il semblait que la distance entre eux se fût rétablie. Mais, par un phénomène bizarre, il se voyait humilié comme un enfant qui a tré­-