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REINE D’ARBIEUX

lendemain de la faillite la papeterie presque ache­vée ? On disait dans le pays que le pauvre Bernos avait été roulé. Tout cela ne portait pas bon­heur. Ce corps qu’on n’avait même pas reçu à l’église, qu’il faisait pitié ! Tout au fond de cette vieille femme, une idée millénaire, l’idée du salut, ranimait un monde de terreur : où était cette âme pour laquelle n’avait pas été dite la messe des morts ? Ne rôdait-elle pas, assoiffée de ven­geance, autour de ces lieux où son malheur s’était consommé ?

Elle s’interrompit un instant, joignit sur les cosses ses mains usées, mêlant dans son cœur les malheurs du passé et les alarmes du présent. Com­ment le fils du suicidé était-il revenu dans ce pays qui aurait dû lui faire horreur ? Pourquoi Sourbets l’avait-il reçu ? Par pitié sans doute ; et une affec­tion presque animale courait dans son sang à la pensée de cet homme qu’elle avait nourri, qu’elle revoyait sur sa poitrine, dans son berceau, et qui était, lui, innocent de toutes ces choses. S’il revenait à cet instant — et deux ou trois fois la vieille avait sursauté au ronflement d’une auto passant sur la route — quelle colère le ferait éclater à trouver seuls sa femme et Bernos ! Comment sa jeune maîtresse ne tremblait-elle pas à cette pensée ?

« Aveugle ! imprudente ! » songeait-elle, terrorisée et pleine de pitié, car elle fût pour Reine passée dans le feu.

Elle se leva, remplit de maïs une assiette creuse,