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nom, une santé que les voyages les plus difficiles ont laissée intacte. Certes, elle croit l’aimer. Cependant quelque chose en elle s’inquiète ; ce fiancé charmant ne ressemble en rien à l’idéal qu’elle s’était fait. Elle lui voudrait plus de sérieux. Pour lui en donner, elle compte le jeter dans les tourments. Son plan est arrêté : elle va s’enfuir sans le prévenir ; comme au temps de ses infortunes, elle ne sera plus Irène de Châteaudun, mais Mme Louise Guérin, l’intéressante veuve d’un officier de marine. C’est sous ce nom qu’elle est connue à Pont-de-l’Arche, où une digne directrice des postes, Mme Taverneau, lui a souvent offert l’hospitalité. Le sort en est jeté : elle se retirera à Pont-del’Arche et elle viendra de temps en temps à Paris, incognito, pour observer un peu son fiancé. Bref, « elle assistera à son absence ».

C’est ici que commence la comédie. Le prince de Montbert va poursuivre Irène ; cet homme si bien élevé, qui parle aux dames avec une légèreté brillante, n’en est pas moins un homme terrible. Il a été grand voyageur devant l’Éternel. Il a couru « entre les aspérités des écueils et les mufles des bêtes fauves ». D’ailleurs, tout cela n’était rien ; il le sait bien depuis qu’il est aux prises avec une femme. « Ma jalousie est toute pleine des ouragans et des flammes de l’équateur, écrit-il à son ami le plus cher, le poète Edgard de Meilhan. Or, ce confident — et voilà un imbroglio qui se noue — vit précisément près de Pont-de-l’Arche. Il a rencontré Louise Guérin et s’est épris d’elle. Comme elle le sait ami du prince, elle lui fait d’aimables avances pour tirer de lui des renseignements ; elle est coquette (par curiosité) ! mais ce n’est pas impunément qu’une belle jeune femme offre des pralines à un poète et accepte son bras pour se promener au clair de lune dans un jardin. Edgard (ah ! que Gautier tient bien ce rôle) devient amoureux frénétique. Il est le héros rugissant. Et tout en dévoilant ses plans de conquête dans des lettres tumultueuses, il ne manque pas d’exciter le malheureux prince par des cris de guerre : « Vous pouvez la rencontrer encore ; mais alors, dussiez-vous traverser six boyards, trois