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fûtes intimidés. De là, ce changement de front, cette coquetterie et ces avances à vos chauves amis-traîtres ; de là, vos nouvelles missives à l’empereur et vos articles dans le genre de celui du 1er mai, que moi je n’aurais pas consenti à signer pour tous les biens du monde. Oui, pour tous les biens du monde je n’aurais pas voulu jeter une pierre sur Karakosoff[1], et, en usant de la voie de la presse, lui appliquer publiquement cette épithète de « fanatique ou un noble irrité », au moment même où de tous côtés des injures lui sont lancées par la Russie bureaucratique et officielle, par cette Russie seigneuriale et littéraire, par tout ce monde de laquais de la Russie avilie, qui en le maudissant et en l’injuriant, espèrent se distinguer aux yeux du tzar et des autorités. De Moscou à Pétersbourg, nos chauves amis s’écrièrent avec enthousiasme : « Michel Nicolaevitch[2] saura trouver le moyen de lui arracher des aveux ! » Et déjà cet infortuné subit avec un courage admirable les supplices et toutes les tortures qui sont dues à l’esprit inventif de Mouravieff. Dans tous les cas, nous autres, nous n’avons pas le droit de le juger d’ici, n’ayant aucun renseignement sur lui, ni sur le motif qui le poussa à cet acte de violence. Pas plus que toi, je ne vois pas d’utilité pour la Russie dans le régicide ; j’en conviens volontiers, qu’il est même nuisible par le fait que, provisoirement, il excite une réaction en faveur du tzar. Mais, je ne suis nullement étonné de ce que tout le monde, en Russie, ne soit pas du même avis et que, grâce à la

  1. Qui en 1856 tira un coup de revolver sur Alexandre II, qu’un certain Comissaroff qui se trouvait dans la foule, para par un geste, dit-on, inconscient (Trad.)
  2. Mouravieff.