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que tes traits s’altérèrent. Et, bien qu’elle fût désastreuse pour notre cause, tu persistes encore à désirer que cette tentative pernicieuse se produise, car, en se faisant jour, elle te donnerait de l’occupation. Essaye donc de sonder les profondeurs de ton cœur, et purifie-toi. Je te dis cela non pour t’en faire un amer reproche, mais pour t’implorer de regarder la cause avant ta personne et de mettre ta pureté révolutionnaire au-dessus de toi-même.

Et puis, ce mot que tu m’envoies, dicté par ton irritation contre la réforme judiciaire, où tu me fais part que tu veux écrire à ce sujet ! Eh bien, Bakounine, prends ta plume. Mais avant de commencer, demande-toi franchement si jamais tu as étudié cette question ? Non que tu aies approfondi des ouvrages spéciaux ou que tu aies étudié la matière à fond, mais simplement, si tu y as sérieusement réfléchi ? À part ton agitation, ta pensée a-t-elle jamais scruté la question d’État et celle de l’organisation sociale ? Pose-toi ces questions sincèrement, aborde la vérité, mets-toi en face d’elle, comme un fidèle qui comparaît devant le Christ — et décides-en toi-même.

Pour moi, notre ligne de conduite est nettement marquée : le gouvernement entend faire à la fois deux coups et demi : 1° l’affranchissement des serfs ; 2° la réforme judiciaire ; 3° le fragment ou la demi-mesure doit se porter sur l’organisation des hôtels de ville dans tous les chefs-lieux de Russie. Toutes ces trois farces apparaissent chancelantes comme institutions, et comme coup, elles arriveront irrévocablement à faire surgir une nouvelle Russie. Mais, dans ces deux réformes et demie le gouvernement aura épuisé son problème ; il ne saurait aller plus loin.