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vivants, car la plupart de ceux qui figurent aujourd’hui ne sont bons qu’à être livrés au bourreau. Telle est ma conviction. Je me demande s’il y en a beaucoup, même dans nos propres rangs, qui soient restés intacts ? L’action fatigue les hommes, les consume ; mais la fadeur les efface et les écule comme une vieille chaussure. Regardez Tourguéneff, Kaveline, Korch : sont-ce des hommes vivants ? Je ne connais pas vos autres amis, ni vos anciennes connaissances, mais je vous demande si la vie active s’est conservée chez eux ? On m’a donné l’espoir qu’au printemps prochain je pourrai rentrer en Russie ; je me mettrai donc, en arrivant, à la recherche des hommes d’action, car, pour moi, c’est un intérêt de premier ordre.

Ici, à part Mouravieff, j’ai fait encore la connaissance d’un jeune général, Nicolas Pavlovitch Ignatieff, le fils du gouverneur général de Saint-Pétersbourg, que tu dois connaître, Herzen. Il revient de Chine, où il a fait des prodiges. Avec ses dix-neuf cosaques, il y joua le rôle le plus brillant et il sut en tirer pour la Russie des avantages plus considérables que ceux dont bénéficièrent l’Angleterre et la France, et cela sous l’œil de MM. les ambassadeurs de ces deux pays, lord Elguine et le baron Gros, qui, pourtant, avaient chacun une armée à leur disposition. Vous connaîtrez par les journaux le traité qu’il a fait signer, mais ce que les journaux ne vous apprendront pas, c’est la barbarie sans pareille qu’exercèrent en Chine les troupes anglaises et surtout les soldats français. Les premières, composées essentiellement de cipayes, se contentèrent pour la plupart de pillage, mais les derniers, Français pur sang, sur tout leur parcours jusqu’à Pékin, violèrent les