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point irrecevable ; c’est aussi fondé que de dire « 100 ménagères qui lisent, c’est 500 gâteaux trop cuits ». Mais c’est pourtant sur ce monument de réflexion que s’appuie la politique pénale moderne. Loïc Wacquant[1] signalait déjà que la Corrections Corporation of America, première firme d’incarcération aux États-Unis par son chiffre d’affaires (la valeur de son titre a été multipliée par quarante en dix ans), invitait à ses frais des ministres de la Justice de nombreux pays pour vanter le rendement du marché des prisons à but lucratif.

Dociles, les journaux progressistes se réjouissent des constructions annoncées qu’ils imaginent être des sortes d’hôtels Formule 1. Mais ces prisons nouvelles aux teintes pastel, il n’est pas question qu’elles demeurent inoccupées, il faudra qu’elles soient — qu’elles restent — toujours pleines, c’est le but de toute hôtellerie. Voilà pourquoi elles sont dangereuses : quand des opérateurs privés construisent des établissements pénitentiaires, ils misent sur le développement de la délinquance.

Actuellement, en ces temps d’avant l’américanisation totale, la délinquance augmente-t-elle ? Il n’est pas tout à fait certain que la violence montrée à la télévision soit un facteur décisif pour une montée de la délinquance, mais il est indubitable qu’elle fait grimper la peur et que les images que véhicule le petit écran amènent une majorité de téléspectateurs à se prononcer pour une société plus répressive. On n’a pas eu à expliquer aux Français pourquoi les prisons étaient surpeuplées. Il leur paraissait clair que dans notre monde malade, on tuait, pillait et volait « plus qu’avant ».

Or c’est faux. Pour ce qui est des « grands crimes », ceux jugés aux assises, on constate une baisse des meurtres et assassinats[2] ; en revanche, depuis le milieu des années 80, les condamnations pour viols sont en augmentation constante. Leur poids est passé

  1. Cf. Les prisons de la misère, op. cit.
  2. On est passé de 525 crimes de sang en 1984 à 504 dix ans plus tard et à 461 en 2000.