Page:Baker - Pourquoi faudrait-il punir, 2004.djvu/165

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Mais si logique et donc esthétique que soit cette déduction, la question du temps la rend insatisfaisante. Les pendules ne mesurent que la durée, le temps n’est pas qu’une durée, il est la substance de la vie. On ne vit pas une peine de trois ans de prison de la même manière quand on est condamné par la médecine et quand on jouit d’une bonne santé ou bien quand on est amoureux et quand on se trouve seul sur terre. J’ai connu des gens irrémédiablement détruits psychiquement et physiquement par la prison en quelques mois et j’ai vu sortir avec une force nouvelle et pleins de projets de vieux bonzes ayant intégralement purgé leur peine de vingt ans.

Alors l’abolition de la perpétuité est très sensée au regard de celle de la peine de mort ; mais par rapport à une peine de trente ans, la solution reste bancale. D’autant que si la peine de prison perpétuelle était abolie, on courrait assurément le risque de voir flamber les peines de 30 ans ou de 20 ans incompressibles. C’est pourquoi les abolitionnistes s’en prennent à la racine du châtiment pénal : la volonté de rendre le mal pour le mal à quelqu’un. Mais ils ont de l’estime pour ceux qui attaquent l’incarcération par d’autres biais. Loin des pamphlets, des cris et des bannières, le CESDIP par exemple aligne les chiffres. Disons qu’il rend ces chiffres parlants. Sans idéologie, avec une imparable rigueur scientifique, il démontre et prouve, statistiques à l’appui, l’inanité de l’incarcération. Signalons que ce centre de recherches est sous tutelle du ministère de la Justice.

Bien d’autres structures, mais cette fois sans le savoir, apportent de l’eau au moulin abolitionniste. C’est le cas de tous ces organismes municipaux, régionaux, nationaux qui luttent, à bon droit, pour la prévention. Plus leurs crédits baissent et plus la délinquance augmente et l’on comprend qu’ils enragent de voir leurs efforts balayés par la vague sécuritaire. Mais cette prévention de la délinquance intéresse aussi les abolitionnistes pour une autre raison. Louk Hulsman fait remarquer[1] que ceux qui admettent la nécessité d’une prévention admettent que la délinquance a des

  1. Cf. Peines perdues, op. cit.