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Que la prison ne serve à rien, les professionnels les plus pragmatiques des administrations pénitentiaires ne sont pas les derniers à le dire et depuis bien longtemps. Aux États-Unis, en 1954, McCorkle et Korn, responsables des services d’orientation et d’éducation dans la prison d’État de Trenton, dans le New Jersey, écrivaient qu’on ne pouvait espérer de la prison aucune « réinsertion » dans la mesure où tout était fait pour rabaisser le prisonnier et qu’il n’avait donc comme seul moyen de s’en sortir psychologiquement que de rejeter tout le système[1]. Un demi-siècle plus tard, on est étonné de devoir répéter de telles évidences.

Jusqu’au XVIe siècle, pour cicatriser les plaies, on y versait un pot d’huile bouillante. Ambroise Paré osa faire autrement. Depuis lors, on ligature, on recoud, on répare. En eût-on juste gagné de la souffrance en moins que cela en aurait valu la peine. Mais il se trouve aussi que c’était plus efficace, qu’on y courait moins de risques d’abîmer à jamais les chairs autour de la blessure.

Bien des gens qui ne se disent pas abolitionnistes, parce qu’ils continuent à penser en termes de punition et de châtiment pénal, sont pourtant offusqués par l’existence des prisons. Un certain nombre de criminologues français ne les attaquent pas de front, mais tentent de les faire vider par degrés. « Contrairement à vous, je veux bien qu’existent des prisons, me disait quelqu’un du ESDIP[2], mais je souhaite qu’elles soient vides. »

Pour beaucoup de juristes et de chercheurs, réduire le temps des peines est le meilleur moyen d’évacuer le maximum de détenus. Des esprits critiques se sont livrés à une démarche logique : puisque la peine de mort a été supprimée, il faut aussi — et exactement pour les mêmes raisons — supprimer l’autre élimination physique définitive qu’est la prison à vie. Ainsi en Norvège, en Espagne, au Portugal, à Chypre, en Slovénie, en Croatie a-t-on aboli la peine de perpétuité.[3]

  1. Cf. Conférence de Thomas Mathiesen lors de la 8e rencontre ICOPA à Auckland, Nouvelle-Zélande, février 1997.
  2. Rappelons qu’il s’agit du Centre de recherches sociologiques sur le droit et les institutions pénales.
  3. Elle existe en Islande, mais n’a jamais été appliquée.