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Comment pourrait-on imaginer « ne faire aucun mal » à des gens privés de liberté, séparés des êtres par lesquels ils vivent, coupés de leur passé et de leur avenir ?

Mise à l’écart de ceux dont on a peur… Mais enfin environ 70 000 malfaiteurs sont libérés chaque année[1] ! Finalement la question est bien celle-ci : faut-il les laisser sortir ? On constate qu’en vieillissant, la plupart des hors-la-loi sont moins attirés par la volerie, on peut donc hâter l’invalidité, leur casser bras et jambes. Cette solution a été longtemps appliquée. Et elle évitait la prison. Aujourd’hui, très flegmatiquement on casse chez quelqu’un toute envie de vivre autrement, on le réduit à n’être à sa sortie qu’un « ancien taulard » autant dire un prochain récidiviste.

Le châtiment n’est pas seulement inutile, il est nuisible. N’importe quel tueur voit bien en prison que la vie d’un homme ne vaut strictement rien. Tout détenu peut s’apercevoir que par décision de justice il est l’objet d’un furieux rapport de forces dans lequel le plus faible n’est qu’une serpillière pour les autres, un numéro d’écrou pour ceux qui ont autorité sur lui.

« Mais cette punition, ils l’ont méritée ! » La manière dont on punit autrui révèle toujours jusqu’à quel degré de cruauté on peut descendre. Et c’est valable dans l’autopunition. Freud ne disait-il pas que certains hommes triturés par un sentiment de culpabilité préexistant à la faute (le péché originel) n’agissaient à tort et à travers que dans l’intention d’être punis ? Pour lui qui avait été assez battu pour le savoir, le père représente l’instance punitive par excellence. Les femmes, qui y sont nombreuses, s’adaptent mal aux glaives du monde judiciaire, et celles qui veulent s’afficher comme super hommes ou super femmes restent les jouets de ces messieurs, qu’elles soient pantins ou poupées, là comme ailleurs. Là comme ailleurs il serait vain de penser contre ce monde, nous n’y respirons mieux qu’en pensant autrement, quel que soit notre sexe. La psychanalyste Alice Miller a étudié l’influence des punitions sur des enfants élevés par des pères particulièrement rigoureux et

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