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remède au mal du crime […]. L’auteur et la victime se retrouvent face à face à nouveau, mais dans un rapport inversé : celui qui a été méprisé est en mesure d’accuser et celui qui a abusé de l’autre se trouve désormais acculé à se justifier. »[1] Il donne ensuite comme exemple positif celui d’un collégien, Alexandre, ayant pris un de ses camarades comme tête de turc et qui passe en jugement ; il cite un article du Monde : « Et les excuses [d’Alexandre], le pardon qu’il a demandé à la barre, il les a exprimés en tournant le dos à sa victime, écrasé par le poids de la honte. »[2] Antoine Garapon trouve très bien ce qu’il appelle ici une « exposition publique de l’accusé », nous, non. Nous ne pouvons être d’accord avec lui sur ce chapitre, même si Garapon est l’un des très rares juges de France à se battre depuis longtemps contre la prison et pour une justice capable de dépasser enfin l’idée de punition.


Un mot de la fameuse intimidation. Au long des siècles, on chercha à tremper un doigt ou des linges dans le sang des suppliciés ; en Allemagne au moyen âge, il y eut un trafic invraisemblable de ces reliques, jusqu’à éclipser celles que vendait l’Église. C’est en 1939 qu’en France on dut renoncer aux exécutions publiques[3], car les condamnés fascinent, excitent toutes sortes de sentiments inavouables. Et point n’est besoin de voir quelqu’un livré à la roue, à la guillotine, au garrot, à la croix ou au pal, n’importe quelle prison attise le même intérêt qu’un musée des supplices. Bien des directeurs de l’administration pénitentiaire refusent l’entrée à des groupes scolaires qui viendraient en visite parce qu’ils savent que, loin d’inspirer l’horreur souhaitée, le châtiment pénal déchaînerait chez ces adolescents une compassion… ardente.

On ne peut nier que l’intimidation fonctionne, mais le châtiment ne fait peur qu’à ceux qu’on intimide facilement, ceux qui sur des

  1. Et ce sera Justice, op. cit.
  2. « Trois ans de prison avec sursis partiel requis contre Alexandre, un des lycéens tortionnaires de Longwy », Le Monde du 24 mai 2001.
  3. À la suite de celle d’Eugène Weidmann, accusé de six meurtres, qui rendit beaucoup de femmes hystériques ; là encore elles furent nombreuses à tremper leur mouchoir dans le sang.