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Le PEP reprend cette doctrine du cas par cas, mais avec un cynisme qui ne manque pas de hardiesse. Il faudra bien du courage à celui qui ne consentira pas à signer le fameux projet d’exécution des peines, alléguant à juste titre qu’un contrat n’est valable que s’il est passé sans contrainte. Durant dix, quinze ou trente ans, on tâchera jour après jour d’obliger le récalcitrant à l’accepter. Les autres joueront le jeu de la pénitentiaire, un absurde jeu de l’oie. Cet injuste espoir de gagner, cette minable compétition dont seront exclus les plus pitoyables et forcément les plus rebelles occupera les reclus (c’est l’un des buts avoués du système).

Les travailleurs de l’administration pénitentiaire parlent à qui mieux mieux de réinsertion et, comme dans l’éducation nationale, de socialisation. Il faut socialiser les délinquants. Comme si dans les crèches où ils ont été élevés, dans les écoles où ils ont appris l’échec, dans les banlieues où l’on pense claniquement et dans les prisons, on ne voyait pas l’apothéose de toute socialisation, la reconnaissance immédiate que règne toujours la loi du plus fort. Dans le tissu social, le délinquant est aussi bien inséré que le policier. Et c’est par miracle que quelques-uns échappent à leur destin de juge, de détenu, de gardien ou de directeur de prison en osant se reconnaître comme des êtres uniques, non réductibles à leur fonction et donc dignes de notre estime.

En réalité, quand l’administration pénitentiaire parle de socialisation, ce qu’elle veut dire c’est resocialisation. Elle attend des détenus qu’ils se convertissent aux normes socio-culturelles des citoyens convenables. Mais le délinquant est celui qui a justement refusé une organisation sociale qu’il juge lui être défavorable. L’asocial vit avec d’autres asociaux, c’est son milieu (et parfois « le milieu »).

Dans les pays comme l’ex-URSS ou la Chine ou Cuba, on n’a pas hésité à « socialiser » de force les marginaux. Avec succès puisque la pègre a pris en main des secteurs coquets de l’économie. C’est une solution, mais il est inquiétant qu’elle tente à ce point les démocraties occidentales. Inquiétant mais pas étonnant. On doit toujours parier sur l’avenir.