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Du côté des humanistes et militants des Droits de l’Homme, l’accord qui se fait sur la nécessité d’évacuer les prisons en commençant par les condamnés à de courtes peines et les malades (toxicomanes et psychotiques légers) tient peu compte du corollaire obligé de cette affirmation : les 20 % qui resteraient (ou 30 % ou 3 %, les chiffres faisant l’objet des négociations que l’on peut imaginer) seraient enfermés sous l’étiquette d’individus dangereux. Boucs émissaires, symboles, ces captifs-là seraient des marionnettes qu’on agiterait dans une mise en scène qui se voudrait plus mélo-gore encore qu’aujourd’hui.

« Les longues peines doivent être intégralement exécutées : c’est un contrat moral entre la société et les victimes » dit Alain Boulay, président de l’association Aide aux parents d’enfants victimes[1]. Le désir de vengeance de la victime, légitimé par la vox populi, a changé le sens même du procès puisqu’elle y réclame, en lieu et place du procureur de la République, la souffrance réelle du coupable. Enhardies par des succès qui ont dépassé toutes leurs espérances, les associations de victimes veillent avec opiniâtreté à ce qu’on n’abrège d’aucune façon le supplice.

La Société entière a épousé cette idée d’immuabilité du criminel qui doit absolument le rester à vie. Il ne doit pas changer : le malfaiteur idéal serait celui qui ne regretterait jamais son acte et serait prêt à recommencer aussitôt dehors. Les victimes organisées sont heureusement là pour protéger la Société et lui faire peur. De plus en plus, il est question de les consulter pour toute libération conditionnelle.[2]

La victime est la preuve que le coupable est un individu dangereux. Toute la question est de savoir ce qu’est un individu dangereux. Et c’est toujours une question de contexte, bien entendu.

  1. L’Express du 30 mars 2000.
  2. « Un récent projet de circulaire du ministre de la Justice, relatif à l’application des dispositions de la loi sur la présomption d’innocence concernant la libération conditionnelle, prévoit d’instituer la pratique d’une enquête préalable sur l’impact social d’une telle mesure, notamment sur les victimes de l’infraction. Toujours selon ce texte, cette mission pourrait être confiée aux services d’aide aux victimes. » Note 37 de la page 164 de Et ce sera justice, op. cit.