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Pourtant rien ne va de soi. Et tu te rends bien compte, Marie, de ce qui grince dans le discours de cette « maîtresse adulte normale » : elle se scandalise de ce que ces enfants fous n’acceptent pas l’école et s’élèvent contre la force des choses. Ce qui est dit ici, tout simplement, c’est que les enfants « normaux » sont aussi sclérosés que les adultes et que nous ne pouvons aucunement compter sur une rébellion enfantine. Être enfant ne garde personne d’être engourdi. C’est ce qui permet au système scolaire de fonctionner. Dans ce lieu réservé aux gosses fous, l’institutrice ne peut qu’engager une épreuve de force et revient sans arrêt sur sa mauvaise conscience de matonne[1] ; violeuse par devoir, elle rend tout viol par désir plus acceptable. Elle est l’image vivante de ce qui empêche les gens de vivre, de jouir de leurs respectives intelligences. Suzanne Ropert n’existe presque pas, elle est cette humaniste libérale et mécanique qui impose sa loi du bien et du mal, qui sait ce qui doit nous faire agir, qui pense pour nous. Bien entendu, je ne connais ni de près ni de loin cette sinistre femme et mon aversion pour ce qu’elle représente semblera à quelques-uns indécente, d’autant que ce personnage n’est rien d’autre que commun ; c’est d’ailleurs bien pourquoi je t’en parle. Je gage que peu de pédagogues (enseignants ou parents) se sentent réellement horrifiés par ce passage-ci : « Moi-même, par ailleurs, je ne suis pas prête à renoncer au rôle bêtement scolaire qui est lié à mon titre, même si parfois, souvent, le doute me saisit sur l’efficacité de ce que je suis en train de mettre en place. Renoncer, en effet, ce serait m’engager dans le piège dangereux tendu par les enfants, et dont ils ne savent pas, bien sûr, qu’ils nous en tendent de tels aux quatre coins de nos activités quotidiennes, aux uns et aux autres… En leur donnant ainsi raison, on signerait en quelque sorte son propre arrêt de mort, à travers celui de l’École, mais encore et surtout, le leur. Car enfin, ces forces “mauvaises” qui poussent les enfants à détruire de multiples façons, à défaire ce qui se fait, ne relèvent pas, loin de là, d’une volonté consciente, délibérée. Elles sont une des facettes de leur mal, conséquence, effet, dont ils ne sont pas maîtres souverains mais plutôt tragiquement victimes. En protégeant l’École, en me protégeant, moi, d’une possible destruction, j’ai le sentiment de protéger l’enfant avant tout de lui-même, de ce qui le ronge, le détruit au fil des jours[2]… »

  1. Une matonne est une gardienne de prison. C’est bien S. Ropert qui dit, poisseuse : « Car, il ne faut pas croire, mais la porte que je referme à clef, pour retenir un enfant, même si je l’ouvre à nouveau cinq minutes plus tard, voilà qui a un goût de fiel… Et comme le trousseau de clefs se fait parfois détestable dans la poche ! C’est si facile d’enfermer ! »
  2. C’est moi qui souligne.