Page:Baker - Insoumission à l'école obligatoire, 2006.djvu/94

Cette page a été validée par deux contributeurs.

L’adulte doit donc dépenser son imagination à faire que les choses « s’arrangent » dans le sens qu’il veut leur donner, tout en préservant l’illusion de l’indépendance de l’enfant.

J’ai très envie de te parler d’un livre que j’ai détesté. Il est pour moi la quintessence de toute entreprise pédagogique scolaire. Ça s’appelle Écoute maîtresse[1].

Le fait que la maîtresse en question soit institutrice d’enfants internés non seulement ne change rien à l’essentiel, mais dévoile admirablement la névrose scolaire de tout pédagogue : normaliser, intégrer, adapter, forger les esprits. Il n’y a qu’un seul passage plaisant dans ce livre d’horreur, celui où elle s’insurge contre l’équipe soignante lui reprochant de manipuler les enfants. Parce qu’elle « assume », comme on dit, si effrontément qu’elle en est désarmante : « Eh oui, je manipule ! Je manipule du matin au soir, pour tout, pour les faire entrer, pour les faire écrire, lire, peindre, dessiner, découper, enfiler des perles, chanter, danser… Et ça n’est pas par un goût immodéré du jeu que je me fais enfant avec eux, […]. Tout cela n’a d’autre but que de les piéger un peu mieux aux rets de mes activités plus “sérieuses”. Vous ne vouliez pas cela ? Il ne fallait pas me les donner, il ne fallait surtout pas me demander d’essayer de leur apprendre quelque chose. »

J’endure moins bien l’autoritarisme fou qu’elle emploie auprès des enfants à qui, écrit-elle, « [elle] offrai[t] ainsi la même illusion rassurante de l’École ». L’axiome est classique et c’est bien pourquoi son discours est si splendidement révélateur de ce que les adultes conçoivent de l’éducation des enfants car, en l’occurrence, les « enfants fous » sont des « super enfants », des enfants purs, des enfants parfaits. Et la maîtresse s’en donne à cœur joie : ces enfants « voulaient aller à l’école tout en ne voulant pas », ils disaient qu’ils ne voulaient pas mais Suzanne Ropert sait mieux qu’eux ce qu’ils veulent, « en les obligeant, on va dans leur sens ». Ce passage que je vais citer, Marie, tu ne peux pas savoir quelle répulsion il provoque en moi ; tant de certitude, tant de bêtise sont un condensé du pire. Cette violence, je la reçois comme une menace personnelle : je suis un cheval qui n’a pas soif que n’importe quel pouvoir un jour peut noyer. Au moins puis-je espérer alors que par ma folie jusqu’à en mourir je saurai dire non.

Elle dit, la maîtresse : « Car ce que nous voulons avant tout, ce pourquoi, d’ailleurs, on a prévu une école à l’intérieur de cet hôpital psychiatrique,

  1. Écoute maîtresse, op. cit.