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nourrissons, mais dès lors tu nous appartiens. Te nourrir, c’est te donner la vie, ça vaut bien que tu te soumettes à ce que nous attendons de toi. La loi (ou l’humanité, ou notre morale, ou notre religion) nous oblige d’ailleurs à te nourrir ; obligés de te posséder, nous sommes obligés par conséquent de répondre de toi. En clair, tu es irresponsable jusqu’à ce que nous ne soyons plus tenus de surveiller tes velléités d’indépendance. Notre devoir de parent est de te rendre conforme au modèle social imposé. Dès que de toi-même « librement » tu entres dans le système, nous n’avons plus besoin d’être tes tuteurs.

Il est un autre cas de figure dont la similitude dans l’oppression frappe bien plus encore, c’est la relation homme-femme, car cette fois le fric et l’amour sont intimement unis. Comme entre l’adulte et les enfants.

Ça arrangerait chacun de croire que l’enfant reste chez ses parents parce que ce sont les êtres qu’il aime justement le plus. Quand c’est le cas, ou bien il s’agit d’une alliance de caractères extraordinaire et d’une rencontre formidable, ou bien le môme n’a pas fréquenté grand monde. Plus vraisemblablement il n’a pas fréquenté grand monde qui ait osé l’aimer avec la même impudeur, les mêmes démonstrations de passion et de tendresse que ses parents. Je reviendrai sur cet amour, mon amour ; et pour le moment, sans perdre de vue la trame affective, je reprends le fil de la chaîne, l’argent.

L’enfant ne possède rien. « Alors que même un mendiant dispose à sa guise de l’aumône reçue, l’enfant ne possède rien en toute propriété ; il lui faut rendre compte de chaque objet mis gratuitement entre ses mains : il ne peut ni déchirer, ni casser, ni salir, ni donner, ni refuser. Il doit l’accepter et s’en montrer satisfait. Tout est prévu et réglé d’avance, les lieux et les heures, avec prudence, et selon la nature de chaque occupation[1]. » Même un jouet (sauf s’il est vieux et d’aucune valeur matérielle ni affective pour ses parents), il ne peut le donner, de chaque objet y compris son corps il doit rendre compte. Les parents sont plus ou moins libéraux, comme tout gouvernement ; certains enfants sont autorisés à se salir, d’autres non.

Si un gosse dit à un adulte : « Puisque tu m’aimes, achète-moi ça », il paraît cupide et indélicat. Ça alors ! Mais tout ce système d’assistance fait forcément de lui un bambin inconscient de ce qui différencie l’amour et l’argent.

  1. Comment aimer un enfant, Janusz Korczak, Robert Laffont, 1978.