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là tout son avenir, celle de devoir se reconnaître stupide, etc., ne se prêtent pas aux conversations entre mômes. Par contre[1], on évoque sans fin la partie visible de l’iceberg : la punition. C’est un sujet intarissable.

Dans notre société, qui punit-on ? Les « malfaiteurs » et les enfants. Uniquement. Et puis tout le monde trouve ça naturel !

La trouille de l’enfant scolarisé, c’est qu’il se sait dans la nasse. Il entre dans un lieu disciplinaire. S’il a dix mille formes possibles, un lieu disciplinaire est essentiellement un lieu de surveillance, donc de punition. Si un jour l’école t’intéresse, tu trouveras dans le livre déjà signalé de Michel Foucault sur la prison, Surveiller et punir, des réflexions parfaitement appropriées à l’institution scolaire sur le « principe de visibilité obligatoire » : « C’est le fait d’être vu sans cesse, de pouvoir toujours être vu, qui maintient dans son assujettissement l’individu disciplinaire. »

Le pouvoir peut braquer le projecteur sur n’importe quel enfant, à n’importe quel moment : « Que faites-vous ? » Comment être assez détendu pour dire tranquillement : « Ça ne vous regarde pas », ce qui est forcément la seule réponse correcte si l’on veut garder son intégrité dans le réseau où sont intriquées toutes les surveillances qui s’exercent sur vous ? Les surveillants eux-mêmes sont surveillés, les professeurs aussi, le directeur aussi. Il faut surveiller. Il faut se surveiller les uns les autres. Il faut se surveiller soi-même. Tout le monde vit dans l’appréhension de la punition et se défoule sur l’élève. Je n’évoquerai même pas les « fessées déculottées » qui sont loin d’avoir disparu (n’est-ce pas Geneviève ?), mais toute punition se veut humiliante et n’importe quel adulte, comme tout enfant, mourrait de honte si on le fessait cul nu devant trente collègues, n’importe quel adulte rougirait ou pâlirait si on lui faisait remarquer devant ses voisins qu’il ne sait pas grand-chose et n’importe quel adulte aurait envie de tuer si on lui ordonnait de lire à voix haute en public la lettre qu’il écrit à son amante ou amant pendant ses heures de bureau.

Si quelqu’un ose me soutenir que cela ne se fait plus, je le ridiculiserai en lui donnant toutes les preuves qu’il voudra.

Encore me gardé-je absolument de dénoncer des cas de brutalité ou de cruauté mentale qui me semblent cas d’exception ; je ne parle que de l’école quotidienne, celle des vingt dernières années de ce millénaire, l’école d’aujourd’hui.

  1. Je dis bien « par contre » et non « en revanche ». Cette règle débile commence à m’exaspérer. D’autant qu’elle serait ici en parfait contresens : où serait la revanche ?