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Tout le reste à l’avenant, on fait semblant de comprendre, on triche, on falsifie ses notes. Que tout ça est infect…

Ce dernier mot m’évoque autre chose. C’était au lycée. Je transpirais beaucoup (« maladivement », disait-on), c’était une sueur froide, aigre, la sueur très particulière de la peur. Après le lycée, je n’ai plus jamais connu cette sueur-là que dans des cas de panique extrême. Mais je ne savais pas alors que si grande était mon angoisse. On avait décrété une fois pour toutes que j’étais trop timide à l’oral. Quelques adultes « comprenaient » : eux aussi, dans leur enfance, « perdaient leurs moyens » quand il fallait monter sur l’estrade, ils s’en souvenaient. Mais qu’est-ce que leur compassion changeait pour moi ? J’étais d’un « tempérament » nerveux. Voilà tout… Lors des compositions, on me donnait du valium. Je ne représentais pas le seul cas d’espèce et la pratique des tranquillisants, que je sache, n’est pas tombée en désuétude. Tant s’en faut.

L’enfant timide ou sensible est supplicié dans ce groupe de petits et de grands aussi énervés les uns que les autres. Mais craintifs ou pas, tous sont confrontés à des dizaines d’épreuves quotidiennes.

« Monsieur, je peux faire pipi ?

– Attends la récréation. »

Cinq minutes plus tard :

« Monsieur, je tiens plus.

– Ça t’apprendra. »

Presque toute la classe rit. Le maître, magnanime, prend un air sévère :

« Bon, tu sors. Mais c’est la dernière fois. Et en rentrant, tu me récites la table de sept. Dépêche-toi. »

L’instituteur n’a pas conscience que cinq ou six paires d’yeux dans la classe le regardent avec une sorte d’horreur. Ils savent ce que c’est que l’envie de faire pipi et ils comprennent, de la vessie à la tête par tous les frissons, qu’ils dépendent d’un maître, qu’ils sont comme des chiens, des chiens à qui on fait apprendre la table de sept. Ils sont avec un maître-chien qui les dresse. La « dignité humaine » ? Heureusement, ils ne connaissent pas ces mots-là, mais ils pénètrent profondément bien la cruauté qu’il y a dans l’air.

Cette institutrice milite pour Amnesty. Elle est de gauche, gentille avec les élèves. Une gamine s’approche :

« Maîtresse, Virginie m’a tiré les cheveux !