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Regarde par exemple ce qui se passe depuis la réforme du collège unique[1] : les favorisés ont au moins deux moyens simples de supplanter les autres à l’entrée en seconde. Le passage vers le second cycle lent (c’est le seul qui ouvre sur l’enseignement supérieur) fonctionne toujours aussi bien depuis la réforme Haby comme un très efficace instrument de sélection sociale. D’abord parce que ceux qui ont de l’argent ont accès à l’information. Ils savent fort bien, par exemple, comme je te disais plus haut, que la précocité dans les études est un facteur essentiel de l’orientation des élèves. Ils s’arrangent pour faire rentrer un an plus tôt l’enfant en cours préparatoire. Les règlements ? Ils s’en arrangent, je te dis. Il ferait beau voir qu’un petit directeur d’école primaire s’y oppose ! Les dérogations sont justement prévues pour ces cas-là et puis, quand on a dans ses relations un psychologue ou un médecin, ça facilite les choses. Sans compter qu’on ne se laisse pas intimider facilement lorsqu’on a un compte en banque ; devant un premier refus toujours possible, on ne perd pas ses moyens quand on a les moyens. Le résultat est là, je t’ai donné les chiffres plus haut : même après la suppression des redoublements du primaire, on entre plus tôt dans le secondaire quand on a des parents riches.

Dans le « collège unique », on a encore une possibilité de se distinguer d’emblée comme « meilleur », c’est par le choix de la première langue vivante, puis surtout des options à l’entrée de la quatrième. Ainsi, dans ces classes dites « indifférenciées », on regroupe les élèves selon des niveaux scolaires bien différents suivant qu’ils font du grec ou de l’arabe, de l’espagnol ou de l’allemand. Choisir l’allemand en sixième permet d’être dans une classe de « bon niveau » (et à recrutement social plus élevé). La ségrégation sociale et scolaire est sauve. Ah ! quand même !

On pourrait allonger indéfiniment la liste de toutes les passes possibles. Il y en a qui sont marrantes : pour un enfant de parents sans le sou, redoubler une classe, c’est à court terme perdre toutes ses moindres « chances » ; au contraire, le pharmacien demandera que son fils redouble ou pour lui éviter d’être relégué dans une filière technique ou pour lui permettre de faire une bonne seconde C. Ce que c’est que d’être malin !

« C’est ainsi que les mécanismes qui assurent l’élimination des enfants des classes inférieures et moyennes agiraient presque aussi efficacement (mais plus discrètement) dans le cas où une politique systématique de bourses ou d’allocations d’études rendrait formellement égaux devant

  1. Cf. « “Démocratisation” ou élimination différée », Françoise Œuvrard, Actes de la recherche en sciences sociales, no 30, novembre 1979.