Page:Baker - Insoumission à l'école obligatoire, 2006.djvu/58

Cette page a été validée par deux contributeurs.

cymbales d’airain me cassent les oreilles), mais ce qu’il y a autour de cette injustice, ces manigances ampoulées, ces parfums sur des odeurs fétides, tout cela me dégoûte viscéralement ; la seule manifestation où je croirais pouvoir aller serait celle qui rassemblerait des amis capables d’aller vomir ensemble devant n’importe quelle scène de l’écœurante représentation permanente.

Je ne supporterais pas d’entrer avec toi dans ce cloaque, cette histoire d’école pour tous, d’école du peuple, de l’égalité des chances et autres resucées ; encore moins de discuter du bien-fondé d’une lutte à l’intérieur de l’Éducation nationale avec des enseignants syndicalistes dont la papelardise (il faut pieusement protéger les faibles pauvres petits enfants) ne parvient même pas à me distraire de l’auguste inconséquence.

Un Français sur deux n’a ni son certificat d’études ni aucun autre diplôme. Et on continue indéfiniment, dans les familles ouvrières, à espérer dans l’école « pour que les gosses s’en sortent mieux ». Or ils ne pourront pas s’en sortir mieux, les gosses. Ô fatalité !

En gros, le discours de ceux qui savent, c’est : « Ma foi, oui, c’est vrai, un fils d’ouvrier qualifié ou spécialisé a moins de deux chances sur cent d’aller en faculté alors que celui du cadre supérieur en a plus d’une sur deux[1], mais même si les chances sont infimes, même si ce n’est pas facile, ce n’est pas cher et ça peut rapporter gros. » (Pas cher ? Faut voir…) C’est drôle que les gens qu’on appelle les gens modestes, si pathétiquement raisonnables de temps en temps, ne posent pas le problème dans les termes suivants : « Si, en allant à l’école, on n’a que deux chances sur cent de “s’en sortir”, combien en aurions-nous en n’y allant pas du tout ? »

S’en sortir… Faudrait peut-être commencer par ne pas y entrer, déjà.

Chez ceux qui n’ont pas fait d’études, on croit donc à l’école exactement comme on joue au tiercé ; de la même manière, bizarrement, l’espoir de gagner (inviter cent personnes à un gueuleton sublime ou acheter un appartement) n’a qu’un rapport extrêmement lointain avec ce que pourrait être « le rêve » ; car on est réaliste quand on fait partie des 59 % de

  1. Cf. Les Héritiers, op. cit.*
    * Ce chapitre contient de nombreuses données chiffrées. On trouvera à sa suite une mise au point, non pas de chacune de ces données, mais de la situation générale de l’ « égalité des chances » en 2006.