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peuvent faire contrepoids à l’école ! » Vois-tu, Marie, moi je ne me sentais pas de taille.

Tu ris, tu penses à ces « marginaux contestataires » que tu connais, fiers de ce « milieu » qui préservera leurs bambins de la bêtise scolaire. Il me semble les entendre chanter « on ira pendre le linge sur la ligne Siegfried !… »

Tous ces gens de gauche, volontiers cyniques, savent très bien que les programmes politiques ne peuvent envisager un enseignement non obligatoire, car la gauche comme la droite a besoin de reproduire ses propres couches sociales, selon sa hiérarchie propre. Elle a ses croyances à elle qu’il lui faut bien transmettre aussi.

C’est entre autres raisons pourquoi je n’ai jamais espéré, même lorsque nous étions à la Barque, que « s’étende le mouvement ». Dans les plus belles années des « écoles parallèles », Jules Chancel[1] avait déjà fait remarquer avec son malicieux sourire que, pour une petite vingtaine d’enfants hors circuit, la presse s’était empressée de faire grand battage et qu’il s’agissait bien évidemment de spectacle. Car personne ne croit à une société sans école.

Nous pas davantage, franc-tireurs qui vivons le rêve non d’une société sans école mais de notre vie sans école, ce qui n’est déjà pas négligeable.

Qu’avons-nous donc en commun, nous qui nous méfions tant des « communautés de pensée » ? Seulement le goût, je crois, de cette méfiance-là.

C’est un peu vrai que beaucoup d’entre nous auraient pu se connaître ou reconnaître en 68 ; dans les beaux surgeons aussi des années 70. Certains avaient déjà fait alors la grève des examens, voire des concours. Au mois de mai, la contestation de l’école a été limpide, intelligente, menée avec sérieux. Une fête pour l’esprit dans les C.E.T.[2] comme à la Sorbonne. Une fête terriblement profonde dont on a beau jeu aujourd’hui d’oublier la présence de la mort. Car s’il est vrai que l’armée n’allait pas tirer, nous n’en savions rien alors. Et nous étions prêts à tout. Il est très impudique de te confier de telles choses, mais c’est que l’usage s’est décidément trop bien instauré de se goberger de ceux qui, à travers mai des années 68 à 74, ont cherché leur vérité par-delà la Vérité des autres. La plupart de ces rebelles ont rejoint les rangs. Paix à leurs cendres.

  1. « Où il n’est plus question de cheveux blonds ni de sourires panoramiques… mais de politique » dans Autrement, n°13, avril 1978.
  2. * Les C.E.T., collèges d’enseignement techniques, sont les ancêtres des lycées professionnels.