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sur « l’éducation intégrale » sont plus connus encore : on y trouve cette démonstration jamais réfutée que ceux qui possèdent le savoir assoient leur pouvoir sur le non-savoir des autres[1].

Cette transmission d’une « façon de penser et d’être », c’est très exactement la transmission d’une morale. En 1913, c’était la patrie, aujourd’hui, la rentabilité ; c’est pareil. Aussi meurtrier.

Je n’ai pas éprouvé le besoin de te dire que l’idéologie dominante, pour reprendre le vocabulaire marxiste, n’était pas forcément l’idéologie de la classe dominante. Les mécanismes sont bien plus subtils que ça et les rouages ne tournent qu’avec l’huile de tous les compromis nécessaires aux armistices réitératifs entre les classes. Par exemple, à l’école il est mal vu de « tricher » alors que la tricherie constitue un art fort prisé dans la bourgeoisie qui y voit une preuve d’intelligence, voire d’élégance. Même chose pour la bonté ou la générosité qui sont chantées avec accompagnement d’harmonium de siècle en siècle, alors que l’examen et à plus forte raison le concours te montrent de façon bien plus réaliste quelles autres « vertus » la société exige en fait de toi. Ces décalages ne peuvent être uniquement dûs au fameux retard institutionnel de l’école mais servent à ménager certaines petites gens qui restent attachés aux valeurs chrétiennes ou marxistes. Hochets insignifiants (comme l’enseignement bien ridicule de la poésie) qui ne trompent que les vraiment pas bien malins.

On a vite fait le tour des valeurs réelles « objectives » que transmettent la crèche et l’école : l’esprit prévaut sur le corps, le devoir sur le plaisir, l’adulte sur l’enfant, le conformisme sur l’originalité, l’obéissance sur la responsabilité, la répétition sur la créativité. Et le tout baignant en eaux troubles, car toute morale doit bien sûr sa fermeté à la souplesse dont elle sait user. L’élite des élèves s’oblige par exemple (c’est Bourdieu et Passeron qui le font remarquer) à ne pas rédiger de devoirs « trop scolaires ». Ce qui importe seul, c’est la conformité aux schémas exigés, non l’uniformité, comme il a été dit plus haut, car l’école ne peut vouloir qu’une société en pièces. La professionnalisation est indispensable aux pouvoirs ; n’est-on pas allé jusqu’à créer des diplômes réservés aux « métiers de la communication » que la spécialisation outrancière rend « nécessaires » aux échanges[2] ?

  1. Articles de l’été 1869 parus dans le journal L’Égalité.
  2. Jacques Piveteau dans Attention, écoles, Seuil, 1972, relève ce pléonasme qui en dit long d’« université pluridisciplinaire ».