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et concurrentielle. Cette “escalade” dans le domaine scolaire est aussi dangereuse que celle des armements, sans que nous en ayons suffisamment conscience[1]. » Il a bien dit « aussi dangereuse », le père Illich, et ça me fait drôlement plaisir de tirer la langue à ceux qui se croient malins de le dire démodé. Quiconque reconnaît la nécessité de l’école devient la pâtée des autres institutions.

Il y a dans la Constitution du 24 juin 1793 un article que je trouve tout à fait délicieux : « La loi doit protéger la liberté publique et individuelle contre l’oppression de ceux qui gouvernent. » (Article 9.)

Des lois je me sers à ma convenance. Je ne reconnais à personne par exemple le droit de dire ce qu’est pour moi la liberté : « La liberté consiste à pouvoir faire ce qui ne nuit pas à autrui […] », article 4 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789. C’est un peu court, ce me semble… Et de plus, je me réserve le plaisir de nuire par ce livre à ceux qui l’estimeraient nuisible. C’est pourquoi je peux avec duplicité nous offrir le luxe de jouer autant que cela nous arrangera de l’article suivant : « La loi n’a le droit de défendre que les actions nuisibles à la société. Tout ce qui n’est pas défendu par la loi ne peut être empêché, et nul ne peut être contraint à faire ce qu’elle n’ordonne pas. » (Article 5.)

Que les procureurs se le tiennent pour dit, si je suis appelée un jour à faire l’équilibriste devant un tribunal, je me servirai de ceci : « Les parents ont, par priorité, le droit de choisir le genre d’éducation à donner à leurs enfants. » (Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948.)

À dire vrai, je n’ai pas grand-chose à craindre et je me fais un plaisir de donner des éclaircissements aux personnes irresponsables qui auraient quelque envie de soustraire leurs gosses à l’État mangeur d’enfants.

On remarque donc, dans la loi du 28 mars 1882, qu’aucun titre ni diplôme n’est exigé pour les parents ou « toute autre personne de leur choix » prenant en charge l’instruction de l’enfant. Que recouvre cette instruction obligatoire ? Savoir lire, écrire et compter, et avoir « des éléments de culture générale » à douze ans. Jusque-là, on peut ne rien savoir mais dire qu’on apprend. Comme les « éléments de culture générale » ne sont heureusement pas précisés, on conçoit bien que devant l’éventuel inspecteur (les cas de visites sont rarissimes) n’importe quel enfant sera apte à fournir « ses » éléments de culture générale.

  1. Une société sans école, Ivan Illich, Seuil, 1971.