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de même que je n’en voudrais aucune autre que la bonne mienne. Mais il n’y a pas la moindre raison de généraliser. On peut aimer plus que tout l’enfant né d’une autre.) Rien n’est fatal, petite. Même les événements survenus doivent être toujours reconsidérés. Ce qu’on appelle réalité fuit sans cesse plus profond, irréductible à ce qu’on croit saisir d’elle. Mais rien ne s’impose à toi. C’est ton accord qui fait le monde tel qu’il est ; et toute chose que tu refuses n’est jamais qu’une chose refusée. Ce qui se passe est, au sens propre, un passage, une relation. Rien n’a de signification en soi. Tout bouge, toi, le monde. Le mouvement seul peut avoir un sens.

Mon père me raconta un jour cette fable attribuée à Lao-tseu : « Un homme n’avait qu’un cheval. Un matin, celui-ci s’échappe et l’homme est bien malheureux. Mais le cheval revient le lendemain ramenant des dizaines de chevaux sauvages et l’homme est bien heureux. Son fils veut en chevaucher un, tombe, se casse une jambe et l’homme est bien malheureux. Mais peu de temps après la guerre éclate, l’armée ne prend pas le fils boiteux et l’homme est bien heureux… »

De notre détraquement, nous pouvons espérer un bien. Chacun peut redécouvrir qu’il existe au singulier, qu’il est spécial et qu’en faisant uniquement ce qui lui plaît il ne peut d’aucune façon être plus maléfique que l’est l’idée d’appartenir à un groupe.

D’où vient cet incompréhensible pessimisme à l’égard de « ce qui ne se fait pas » ? Le cardinal de Retz a dit qu’on était « plus souvent dupe par la défiance que par la confiance ». On le voit tous les jours, les banques provoquent au vol, les lois à la filouterie, les constitutions aux abus de pouvoir, etc. Nous ne sommes pas du genre à aller paisiblement à l’abattoir. Nous avons confiance en nous. Les peurs sont trop souvent futiles.

Je suis un peu fatiguée, ma chérie, à la fin de ce livre. Je sais trop ce qu’il eût fallu faire pour plaire aux pédagogues en mal de dialectique ; ils aiment la critique que leurs instruments de rhétorique leur permet de brillamment « dépasser ». Je connais aussi les ficelles et les clins d’œil habiles qu’il aurait convenu de lancer à « l’association des journalistes de l’éducation ». Mais je me serais bien ennuyée.

J’ai préféré t’écrire une lettre et, par toi, m’adresser à qui se plairait en notre conversation. Cependant je sais que désormais cette parole est publique. Les plus bêtes croiront à de la provocation, les plus roublards m’imagineront singulièrement naïve. Allons, ne pensons plus qu’à nos alliés puisque c’est à elles, à eux que je consacre le livre que je commence dès demain. Il n’est peut-être pas inutile de faire savoir que