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mais comment faire autrement ! » Point d’exclamation et non point d’interrogation.

Il y a aussi ceux qui commencent à piger le jour où on leur explique que leur gosse va être jeté à la poubelle. Ça arrive qu’un enfant soit « inadapté ». Par la loi d’orientation de 1975 est reconnu très officiellement que la norme est aléatoire et dépend du prince : les modèles sociaux dominants peuvent varier mais sont la norme. Aussi simple que ça. On crée des « ateliers protégés » pour recevoir ceux « qui n’ont pas pu suivre à l’école ». Cela ne coûte pas cher (rémunération inférieure à celle des travailleurs « normaux », diminution des charges sociales que devraient payer l’employeur, etc.) et surtout cela permet, comme l’a très judicieusement montré Robert Castel, de récupérer les déchets. Pas de déperdition à l’intérieur de la machine. « Par rapport au système scolaire, on voit aussi l’intérêt que peut présenter le fait de déclarer handicapés ceux qui sont handicapants pour son fonctionnement normal[1]. » C’est parfaitement dit.

Si bien que quelques rares parents comprennent par le biais de telle éjection dans quel concasseur ils ont mis leur môme. Note en passant que l’immense majorité des autres est prête à gober l’atroce plaisanterie consistant à affirmer que les retards scolaires peuvent toujours se rattraper dans le système scolaire.

Mais je ne me fais guère d’illusion sur ces « prises de conscience » qui font que tel ou tel adulte retire son môme de l’école. Coups de tête, la plupart du temps. Pratiquement toujours, c’est les « grandes personnes » qui décident. On a vu de ces parents qui, tout en dénonçant ses faiblesses, militent littéralement pour l’école en ma présence : « Tu n’as qu’à voir comme mes gosses aiment leur maître » ; l’année suivante, les mêmes se déclarent prêts à chercher une école parallèle parce que « le maître est taré, les enfants le détestent ». Pour le bonheur de leurs mômes, qu’est-ce qu’ils ne feraient pas ! Girouettes ! Girouettes ! Chaque année ils remettent en question ce qu’ils affirmaient quelques mois plus tôt. L’incohérence de ces gens me renverse. Ce n’est quand même pas grand-chose de tenir une petite dizaine d’années quand on veut mener quelque chose à bien ! J’aime celles et ceux qui vivent avec légèreté la gravité de leurs choix, quels qu’en soient les domaines. Mais c’est rare d’en rencontrer. D’habitude, au contraire, les gens traînent comme un boulet des décisions qui n’en sont même pas, de douloureuses

  1. La Gestion des risques, Robert Castel, Éd. de Minuit, 1981.