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aucun regret. Dès ta naissance, je savais qu’il n’y avait pas de temps à perdre, aussi t’ai-je laissée pousser au seul rythme de tes saisons intérieures ne te pressant en rien et tu grandis sans avoir connu la redoutable cassure ; déjà tu es lointaine, déjà et encore fidèle en ton amitié pour moi.

La plupart des enseignants que je connais s’agacent de ma « tolérance » à l’égard des jeunes et s’ingénient à me prouver l’étroitesse d’esprit et la trivialité de leurs élèves. C’est vrai que tous les adolescents n’ont pas des révoltes de luxe et que la plupart ont déjà été brisés en leur enfance. À priori, faire flamber un C.E.S. n’est pas en soi une manifestation de savoir-vivre. J’en conviens. Mais c’est quand même mieux que d’accepter de mourir à petit feu dans l’institutionnalisation de l’entendement. Je ne le redirai jamais assez. Je suis pour les incendiaires, contre les cadavres de tout âge.


Je demeure aussi l’enfant que j’ai été. Sans doute ai-je plus de forces physiques que je n’en avais étant petite (avec toutefois moins d’endurance pour autant que je puisse juger). C’est à peu près la seule différence. Le temps passe, je le vois bien, et je change et je reste la même ; je suis ce que je suis, mouvante. L’enfance ni l’âge adulte ne constituent des états séparés.

Je regarde comme un sot tout adulte qui se croit supérieur à un enfant sous prétexte qu’il s’en fait obéir ou qu’il lui apprend quoi que ce soit. Les oiseaux apprennent assurément aux oisillons à voler et les coyottes à chasser à leurs petits. Mais aucune bête n’est assez bête pour « éduquer en vue de ». Je laisse à plus instruit que moi de disserter sur les lois de la nature ; n’importe comment, l’éducation des enfants n’a rien de naturel et je ne fais cette allusion que pour écarter d’avance toutes les discussions du genre : « Même l’animal adulte connaît sa supériorité sur le petit qui ne sait pas. » Les serins ayant la sagesse de ne pas écrire de traités de pédagogie, j’ignore jusqu’à quel point ils se confèrent un degré de supériorité par rapport à leurs couvées. Il semblerait que seuls les humains traitent leurs enfants en inférieurs ; on est évolué ou on ne l’est pas !

Ils n’y vont pas par quatre chemins. « N’est-ce pas après la vingtième année seulement que l’homme se voue à une tâche dont l’accomplissement donne vraiment un sens, un but à sa vie ? » C’est Schmid[1] (et encore une

  1. Le Maître-Camarade et la pédagogie libertaire, op. cit.