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communicative, ce qu’il imagine est, pour ses amis, tentant. Le partage vient par surcroît. Enfant ou adulte, celle ou celui qui offre son rêve ne se dépouille pas ; sans se préoccuper d’autrui, le créateur creuse en lui-même, c’est la singularité qui offre un attrait pour les autres et cette singularité permet la rencontre pour le plaisir et la joie. Ce bonheur, cette reconnaissance des autres alimentent à leur tour le rêve premier. C’est ainsi, Marie, que les enfants se fabriquent des mondes et y vivent.

Puis ils apprennent l’obéissance au plus fort, la hiérarchie, les « règles du jeu » ; c’est celui qui a le mieux perçu l’intérêt de se faire obéir qui commande, on ne jouera plus qu’aux jeux proposés par Paul ou Fougère, on a compris, on est un peu grand, déjà.

Il y aura encore quelques sursauts, vers dix ou douze ans, avec le temps des grands et terribles bouleversements amoureux, on découvrira que l’amour est aussi violent que la mort qu’on vous impose. On entreverra alors le combat dont l’issue restera éternellement incertaine.

Et les parents s’étonnent de la gravité soudaine de leurs enfants. Lesquels ne baissent pas toujours les yeux, se mordent les poings en pleurant la nuit et crèvent d’humiliation parce qu’ils acceptent l’inacceptable par peur d’être trop seuls. Oh ! Marie, à quel prix dompte-t-on les enfants ! Quel désastre ! Les cerveaux blessés, amputés, ankylosés, les cerveaux altérés deviennent adultes.

Pourtant, dans la nuit morne de ce monde sans imagination, brasille l’esprit de tous ceux qu’on n’a pas encore pu faire plier. Je crois qu’à treize, quatorze ans, on est normalement fou, tant les idées vous bousculent, vous passent dessus comme chars d’assaut. Trop. Trop. Trop. Pas une seconde de répit. De l’intelligence qui vous déborde dans ce hiatus entre l’enfance et le vide. Ce qu’on appelle la crise de l’adolescence, c’est ce désespoir de devoir quitter le temps où la tête frissonne du plaisir d’apprendre. Allez, on sent bien son cerveau qui va se recroqueviller et ça ne se passe pas sans chagrin.

J’ai déjà dit qu’adolescente je profitais de l’amour et de l’enseignement d’une gamine de douze, treize ans. J’eus par elle, quoique confusément, cette chance de percevoir alors que la passion, la révolte et l’intelligence n’étaient qu’une même saisie du monde. Les insensés parlent de l’âge bête, sans reconnaître, les ingrats, qu’ils doivent le peu d’esprit qui leur reste à leur adolescence.

Je te regarde, toi dont la jeunesse rayonne de sagesse, Marie, mon enfant fête ; comme tu es belle, tendre et hautaine, en partance. Je n’ai