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Si de l’enfant émane une beauté inaccoutumée, c’est qu’on n’a ordinairement pas encore eu le temps de barricader toutes ses ouvertures possibles sur le monde. Ordinairement… Car il n’est pas exceptionnel de voir des enfants de trois ans totalement démolis.

L’idée-force de toute éducation, c’est que l’enfance est un état d’imperfection. L’âge tendre serait le stade de préparation à la vie réelle. Avant, ça ne comptait pas. C’est à l’éducateur donc de former l’enfant à son rôle d’adulte, afin qu’il se montre utile à la société, le moment venu.

Ceux qui vivent avec des enfants et refusent cette fonction éducatrice sont accusés, au mieux, d’imprévoyance. Tous ont entendu l’éternelle question : « C’est bien joli tout ça. Mais qu’est-ce qu’ils feront après ? » Les lieux de vie, en particulier, qui accueillent des enfants « à problèmes » sont constamment en butte à des discours de ce genre. On ne peut admettre que ces asociaux ne soient pas l’objet d’un redoublement d’efforts visant à leur trouver, « malgré tout », une place dans la société.

Cette idée que tu m’as toujours entendue réaffirmer que tu n’étais pas une adulte en puissance mais un être total, à tout instant, n’est guère originale. Une bonne part de la tradition libertaire se reconnaît en elle. Les « maîtres-camarades » de Hambourg en ont été, à mon avis, les théoriciens (et praticiens) les plus conséquents.

La plupart d’entre eux considéraient d’ailleurs que l’âge mûr était le decrescendo de la vie et que la jeunesse, loin d’être un manque de maturité, était l’époque du plein développement, après quoi venait très vite la dégradation intellectuelle et physique. Toutes les apparences leur donnent évidemment raison. Je serai quant à moi plus nuancée, j’ai connu comme tout le monde et suis sûre de connaître encore des « accès de jeunesse » qui poussent comme ça sous mes cheveux blancs, et tu te plains par contre de rencontrer tellement de petits vieux de dix-sept ans…

Même si ne je partage pas leur conception d’un âge fait pour la jeunesse et la joie, j’apprécie que les maîtres-camarades aient en tout cas affirmé de manière précise et claire qu’ils refusaient de « préparer l’enfant à la vie économique » et au « combat pour l’existence » : « C’est pour cela que nous n’avons pas de plan, pas de but déterminés d’instruction. Pour nous, la tâche de l’école, c’est d’offrir à l’enfant un lieu où il pourra être enfant, jeune et joyeux, sans tenir compte de buts à atteindre[1]. »

Contrairement à ce qui se passe à la même époque en U.R.S.S., les instituteurs de Hambourg refusent d’envisager l’autonomie de l’enfant

  1. Le Maître-Camarade et la pédagogie libertaire, op. cit.