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quelque chose. Il est impossible de décrire ce tragique agacement de ne rien pouvoir faire. Qui saurait se représenter ce qu’est d’être assis des heures et des heures et de subir sans sourciller des discours ? Il suffit de s’intéresser disent les diseurs.

Il suffirait, oui. Mais justement… C’est bien là le problème. Sur une année scolaire, combien peut-il y avoir de cours intéressants ? Et dans la mesure où la présence y est obligatoire, combien d’élèves intéressés ? L’éducation, c’est la falsification. Edmond Gilliard que j’ai déjà cité écrivait dans son Journal, alors qu’il était professeur de latin depuis quinze ans : « Il y a des écoles pour les enfants arriérés dont on s’efforce de faire des hommes normaux.

« Nous, dans l’enseignement classique, nous recevons des enfants normaux dont nous nous efforçons de faire des hommes arriérés. »

Avec la publicité, l’école est la plus magistrale entreprise d’imbécillisation. Bien sûr, il est facile d’analyser le contenu des cours, mais ce n’est pas le plus important. L’imbécillisation consiste à ôter à l’enfant toute envie d’entrer dans la compréhension du monde. Au sens étymologique du mot, l’enfant refuse de com-prendre ça. Ça ? Ce qui l’entoure. Les professeurs mais aussi la laideur imposée. Je ne dirai jamais assez les profonds ravages causés par le simple aspect sinistre des salles de classes (aussi bien les « modernes » que les « anciennes », cela s’entend). Un rapport américain avait fait quelque bruit à l’époque. C’était une étude approfondie des écoles publiques aux États-Unis demandée par la Fondation Carnegie au Dr Charles Silberman, un homme tout à fait modéré. L’auteur du rapport soulignait qu’il fallait vraiment considérer l’école comme « allant de soi » pour ne pas s’apercevoir que tout dans l’aspect extérieur de l’école comme dans les relations entre maîtres et élèves « menait immanquablement à la stérilisation des esprits ». C’est John Holt qui fait remarquer que si ce rapport a d’abord provoqué un certain scandale pour tomber très vite dans un « à quoi bon », c’est que c’est cela, cette école grise et terne et pénible que souhaite le public, en l’occurrence, les électeurs qui, dans leur majorité, veulent une école menaçante, punitive, sombre.

Les victimes de cette volonté adulte de malheur, de laideur ne savent pas forcément exprimer les raisons de leur souffrance. De l’école, ils ne savent qu’une chose, les enfants, c’est qu’ils s’y font scier le dos. Marie, je t’assure que j’ai connu des enfants tétanisés d’ennui. Et je ne sais pas si on se remet jamais d’une chose pareille.